- Le Père Sevin -
CONTEXTE
Le XXe siècle commence dans les difficultés des lois de 1901. Les religieux s'exilent, les biens de l'Eglise sont confisqués, les catholiques ont du mal à se rallier à la République, et il s'installe un esprit laïc volontiers anticlérical. Les vocations sacerdotales baissent de 50% entre 1901 et 1919. Les intégrismes s'affichent. La tendance n'est pas à l'œcuménisme ni à la tolérance, et trois familles de pensées entrent en conflit : le catholicisme intransigeant, le libéralisme, et le socialisme. En 1920, le communisme entre en France. La première guerre mondiale fait tomber peu à peu les préjugé, à coup de fraternité de tranchée, de prêtres mobilisés, morts au front… Cependant une fraction de l'opinion antireligieuse cherche ostensiblement à déchristianiser la France.
C'est donc dans un esprit de conquête et de réévangélisation, et dans un foisonnement d'idées nouvelles écartelées entre le conservatisme et le modernisme que naissent nombre d'œuvres nouvelles et de Mouvements chrétiens.
UNE VOCATION SPIRITUELLE
Le Père Sevin entre au noviciat des jésuites à Saint-Ancheul en 1900, aux portes d'Amiens. Il a dix-huit ans… Dès 1901, à la suite de la loi du 1er Juillet, le noviciat quitte la France pour la Belgique. Jacques Sevin y a pour maître des novices de Père Louis Poullier (formé par le Père de Maumigny) qui eut incontestablement grande influence sur le Père Sevin. L'oraison mentale, l'union divine étaient les thèmes fondamentaux de son enseignement, ainsi que l'exemple incomparable donné par le Christ. Cela explique sans doute la spiritualité profondément christocentrique du Père Sevin, ainsi que le fait qu'il ait tiré du livre du Père de Maumigny sur " l'oraison mentale " la prière que ce dernier attribuait à St Ignace : " Ô verbe de Dieu apprenez-nous à être généreux… " et que le Père Sevin donna aux scouts en 1917, avant qu'elle ne devienne tout simplement la prière scoute
Jacques Sevin termine une licence d'anglais en même temps que sa formation religieuse, et l'enseigne de 1904 à 1907. Ses compagnons à l'époque trace de lui le portrait d'un homme à l'âme ardente passionnée par la jeunesse. Il était constamment mêlé à la vie des élèves, sortant largement de son seul cadre de professeur d'anglais. Il était le grand organisateur des distraction et directeur du théâtre. On le décrit encore comme " un scolastique remarquable par son talent de poète toujours prêt, […] son bon caractère, son enthousiasme évidemment juvénile et inexpérimenté, mais profondément sincère et qui le préparait admirablement à exalter le côté chevaleresque du scoutisme. Il avait un idéal très élevé et un sens exceptionnel de l'honneur et de l'héroïsme. "
DÉBUT DU SCOUTISME
En 1907 à ce moment, Baden Powell lance son premier camp scout à Brownsea. Quelques essais ont lieu en Belgique et en France, diversement appréciés. Des articles du Père Caye, jésuite (dans Les Études du 20 février au 5 Mars 1913) critique ce mouvement. Jacques Sevin l'annote, contre-critiquant les critiques, prouvant ainsi qu'il a pris le temps d'étudier la pensée de BP et la méthode qu'il propose. Le père Sevin fait donc preuve d'une ouverture d'esprit et d'âme, souvent incomprise ou mal interprétée. Il obtient de ses supérieurs de pouvoir passer tous ses étés en Angleterre pour observer le scoutisme avant de se prononcer entièrement. Il y rencontre BP (Baden Powell) en 1913 au cours d'un rallye de 3000 scouts. Il rentre en Belgique édifié, et déterminé à fonder en France un scoutisme catholique, qui soit encore meilleur que celui qu'il a observé. Mais pour l'instant, il reprend ses études dans un cadre austère et se prépare au sacerdoce.
Il est ordonné en 1914. De nombreux prêtres sont alors mobilisés pour la guerre, et lui-même disposais d'un sursis. Il avait été exempté du service militaire en 1902 et n'était pas mobilisable avant l'annulation des réformes. Il est envoyé en Angleterre pour préparer l'entrée en Angleterre de religieux d'Alsace Lorraine qui n'auraient pas pu s'engager dans l'armée et étaient très exposé en cas d'invasion de la France. Il retourne en France quand il apprend que Bruxelles est pris, fait passer son monde en Angleterre, et réclame un poste d'aumônier militaire. On lui dit d'attendre l'ordre d'appel à scolasticat derrière les lignes allemande, à Enghien. Mais l'ordre ne lui parvint jamais, le messager l'ayant détruit en craignant d'être pris par les allemands. Le Père est contraint de finir sur place sa 4e année de théologie. Le Père se sera donc formé durant 16 ans.
Enfin, en 1916, il va à Mouscron, dans le collège N.D du Tuquet. A cause de la guerre, il n'y a que 46 élèves. Le Père Sevin fera avec eux les premiers essais du scoutisme, sans en donner le nom, l'axant sur une préparation à la vie missionnaire. Avec l'aval de son supérieur, il entreprend aussi de rédiger son livre Le Scoutisme. Il apprend à critiquer sainement et de manière constructive les méthodes employées. Son grand sens apostolique et pédagogique apparaît au cours de nombreuses discussions qu'il a avec ses frères ou ses supérieurs. En effet, tout ceci ne se fait pas sans entraves, mais il reste tout à fait loyal envers ses supérieurs et cherche le dialogue.
La rentrée de 1917 se fait sans aucun élève, alors le Père Sevin va à l'école industrielle de Mouscron, et y fait une véritable classe de scouting. Cette même année, il professe ses vœux perpétuels. Il consacre presque toute l'année 1918 au scoutisme, durant 2 mois de préparation et d'entrevue avec son supérieur, pour " éviter tout faux pas et avoir pleinement la grâce de l'obéissance ". Il revoit son projet en fonction des observations reçues, souffre des réticences de l'entourage, et assume les avancées et les reculs que lui demande l'obéissance. Il reçoit même l'interdiction d'employer le mot " scouting " ou " scout " à cause de l'occupant et surtout de ses frères.
Tout semble bientôt sombrer, mais dans un esprit d'obéissance, de conciliation, de prière et de confiance, la ténacité et la loyauté l'emportent finalement. Il va au rythme des autorisations qui lui sont données, sans nulle aigreur, modifiant sans cesse et se laissant conduire par l'esprit. Il présente enfin un projet en 12 points, où rien ne doit laisser deviner (surtout à ses frères) qu'il s'agit de scoutisme. On lui dit : " Il ne faut pas que l'on puisse dire qu'un jésuite français a fondé le scoutisme à Mouscron ! " (manqué, on dirait !). " Il faut agir avec et malgré ses supérieurs " disait-il avec humour.
LA RÉUSSITE
Enfin son supérieur accepte pleinement le projet. Le Père Sevin rend grâce à Dieu. Le 13 février 1918, la 1ere réunion a lieu, et le scoutisme est né. Mais il se vit dans la clandestinité. Il consacre son groupe au Sacré-Cœur, comme le feront tous les Scouts de France à Chamarande en 1922 au cours de leur 1er rassemblement national, consécration qui sera renouvelée plusieurs fois. Le premier camp officiel a lieu en été 1919 dans les Ardennes Belges. Le Père y compose le Cantique des Patrouilles. Il fonde aussi une troupe à Lille.
Diverses expériences scoutes se sont essayées sur le continent d'après le modèle de BP en Angleterre, mais dans la laïcité et la neutralité. Et aucun de ces fondateurs n'a eu l'occasion de prendre vraiment contact avec le scoutisme enseigné par le fondateur anglais. Dans son livre, Le Scoutisme, le Père Sevin décrit avec fidélité la pensée et la méthode de BP, puis expose sa pensée d'un scoutisme catholique.
Le Père choisit comme emblème la croix de Jérusalem, symbole de l'universalité de la Rédemption, avec la fleur de lys du scoutisme anglais (choisie par BP). Il présente comme essentiel l'intégration de ce scoutisme catholique dans l'Eglise, et son enracinement dans l'Evangile par la Loi, la Promesse, et la façon de mettre les scouts non pas en relation avec des idées, mais avec un Jésus vivant. Cet aspect lui paraît indispensable pour donner au scoutisme toute sa dimension, et BP dira lui-même : " La meilleure réalisation de ma pensée est ce qu'a fait un religieux français "1. Il entretiendra un grand correspondance amicale avec le Père Sevin.
Le Père est nommé à Metz, et en chemin il passe par Paris où se tient une réunion de jésuites au siège de l'Action Populaire. Un frère l'encourage dans son scoutisme. Il le décrira comme l'homme attendu pour guidé et enthousiasmer la jeunesse généreuse que le Scoutisme formerait, et aussi comme un peu idéaliste, poète et chimérique parfois. Tout s'accélère. Le Père Sevin va voir le chanoine Cornette, seulement parce qu'il habitait à côté. Ce dernier développera beaucoup le scoutisme. (il semblerait qu'il avait lui-même déjà monté une troupe en Belgique).
A Metz, son supérieur est hostile au scoutisme, et le Père Sevin réfléchit à un moyen d'unir enfin tout ce qui existe déjà en France. Il retourne à Paris et en 1920 crée le comité organisateur de ce qui deviendra " les scouts de France ". Après 20 ans de vie en Belgique, il parvient à faire prévaloir son point de vue sur celui des parisiens qui veulent garder quelque chose de leurs réalisations personnelles, et perçoivent bien que le système de BP, même catholicisé, fera une grande place au chef laïc. En 1920, cela est impensable dans l'Eglise. De plus, le Père ne veut pas du mot " catholique " dans le titre de l'association, même si ses statuts et son emblème devront le professer très nettement.
Le 25 Juillet 1920 sont officiellement fondés les Scouts de France. Le Père Sevin en est le Commissaire général (c'est à dire le décisionnaire). En 1926, il fonde une branche " Extension " pour les handicapés.
LE MESSAGE DU PÈRE SEVIN
Il est remarquable de constater comment le Père Sevin a eu l'intuition de la richesse éducative d'un mouvement pour la jeunesse lancé par un général anglais, anglican, et prétendu franc-maçon (malgré les prétendues études anti scoutes, au final on n'en sait toujours rien). Tout cela, le Père l'a senti parce qu'il brûlait d'amour pour la jeunesse et vivait en intimité avec le Christ, sachant " qu'une activité quelconque ne se prépare pas uniquement sur le terrain ou à la table de travail, mais surtout au prie-Dieu, dans la prière. " Il répétait souvent cela aux chefs. A Chamarande, lieu de formation des chefs, malgré la surcharge de travail durant l'été, l'adoration du Saint-Sacrement se faisait de jour comme de nuit, et avait une grande place dans sa vie.
Au sujet de Chamarande, il faut savoir que le Père Sevin a participé à plusieurs camps de formation en Angleterre, au centre unique : Gilwell, et qu'il obtint de BP les diplômes nécessaires et l'autorisation de fonder un Gilwell français, qui fut Chamarande, en 1923. Il fut le premier, et pour longtemps, à obtenir ce droit.
Le Père disait souvent : " Nous ne formons que ce que nous sommes, soyez donc ce que nous voulons que les autres soient… " c'est à dire des saints ! ou encore : " Ne jamais rien demander aux autres que nous ne l'ayons déjà donné nous-même ". Il répétait aussi aux chefs qu'il formait : " Si vous n'êtes pas d'abord, vous, des êtres profondément spirituels, des êtres passionnés de Jésus Christ, vous ne pourrez rien transmettre ".
Le Père Sevin eut donc très vite l'intuition que la pédagogie scoute, au delà de son origine, correspondait en profondeur à une vision chrétienne de l'homme. Il voulut proposer le scoutisme à la jeunesse non seulement pour que les jeunes garçons deviennent des adultes catholiques, ayant une vie chrétienne profonde et rayonnante, mais pour développer leur foi et les intégrer pleinement à l'Eglise catholique par cette vie scoute. Il fallait beaucoup d'audace à l'époque pour tenter de donner au scoutisme une place et une structure reconnue dans l'Eglise. Cette double fidélité au fondateur d'une part et à l'Eglise d'autre part lui valut bien des difficultés et des ennemis. Il n'envisageait pas un scoutisme qui ne soit pas fidèle au fondateur. Mais sans rien négliger des enracinements, il enseigne l'adaptation qui ne doit rien perdre de l'esprit, mais a l'audace d'aller de l'avant.
Voici comment il définit le scoutisme dans la revue pour chefs "Le Chef", et repris dans "Pour penser scoutement"
« Le scoutisme est un complément d’éducation. Pour base il prend la religion - pour nous la religion catholique - pour méthode caractéristique, l’étude de la nature, qu’il pratique dans le cadre d’une fraternité de campeurs, et il a pour but d’aider l’enfant, garçon ou fille, à développer personnellement sa santé, son habileté professionnelle, et surtout à devenir un caractère et à prendre l’habitude du service et du dévouement : ainsi, le jour venu, se sera-t-il préparé à être un bon citoyen des républiques de ce monde et du royaume de Dieu. »
POUR L'AMOUR DU CHRIST
Devant l'évolution massive du mouvement, et son alourdissement, il craint aussi que le potentiel spirituel du scoutisme ne vienne à diminuer. Il conçoit alors l'idée d'un Ordre Scout, pour des personnes célibataires ou mariées, dans l'Association, sans modification de leur responsabilité dans le mouvement. Mais ce projet avorta dans l'œuf. Il y est pourtant encouragé par le chanoine Cornette, qui perçoit lui-aussi une baisse spirituelle du mouvement. Une autre idée naît dans l'esprit du Père Sevin : celle de diacres permanents, dont la fonction première serait l'éducation de la foi des jeunes. Il en parla à l'évêque de Rouen et au cardinal Suhard, en 1948, mais le projet, bien qu'encouragé, fut oublié après la mort du cardinal.
Ses plus grosses difficultés naîtront en janvier 1924. Cette année-là, le chanoine Cosson de Paris est averti que le Père désire fonder un ordre scout. Il réagit immédiatement et provoque l'affolement général. Bientôt, on accuse le Père de vouloir fonder une société secrète destinée à le renseigner sur les agissements des aumôniers, et surtout à l'entourer pour évincer l'abbé Cornette (devenu chanoine cette même année) et devenir Aumônier Général à sa place. Il doit démissionner de son poste de Commissaire général, et part dans le même temps défendre le scoutisme à Rome. Le scoutisme risque en effet condamnation, et doit réfuter les accusation de théosophisme, naturalisme, franc-maçonnerie et interconfessionnalisme. Il se trouvera contraint de ne pas renouveler l'adhésion du mouvement au Bureau interfédéral et au Bureau international.
Au sujet de l'affaire Cosson, il faut savoir que le Chanoine Cornette encourageait pourtant le père Sevin dans le sens de son ordre scout, mais subit en 1926 les pressions double de l'abbé Cosson et du Général Guyot de Salins (directeur de l'association en tant que loi 1901 ?), qui menace de démissionner (mais lui-même semble subir des pressions). Le chanoine cornette lui demandera trois ans plus tard de reprendre le projet. Alors on court-circuite et on fait pression directement sur le supérieur général des Jésuites à Rome, qui devant le flot de difficulté ne fait pas d'enquête et interdit l'Ordre, lui demandant de le remplacer par un Cercle spirituel. Pourtant le Père était soutenu par diverses autorités religieuses. En 1937, le Père Forestier remplace le Chanoine Cornette au poste d'aumônier national, et poursuit la lutte contre l'Ordre. Le Père Sevin sera étonné de constater l'hostilité incompréhensible du Père Forestier à son égard, alors même qu'il a déjà quitté le mouvement. Le Père Forestier put s'en expliquer en 1963, après la mort du Père Sevin, lors de la reconnaissance canonique de la Sainte Croix de Jérusalem. Lorsque le Père Forestier a été nommé aumônier général, il n'a " reçu qu'une directive : ne pas permettre qu'un ordre religieux se présentât comme issu des SdF ". Et il lui était interdit de faire état de cette consigne, soit disant venu de haut lieu, communiquée par deux prélats (dont il ne donna pas les noms). Il a eu beau se méfier, il n'en a pas moins appliqué les directives. Toutefois, en 1944 et à la fin de la guerre qui divisa le scoutisme, le Père pourra enfin fonder cet Ordre, avec l'appui de ses supérieurs et grâce à 4 cheftaines téméraires (mais sans branche masculine).
En 1933, le Père Sevin est " vidé " du mouvement, et doit quitter toute responsabilité nationale et internationale. Il semble qu'on lui reproche surtout son ascendant sur les chefs qu'il forme jusqu'au domaine spirituel. Cette séparation qui voulait être instaurée venait des anticléricaux d'Action française qui désiraient, dans la tradition maurassienne (de Maurras ; cf Doc. Cath. N°17 p. 131) isoler un temporel autonome d'un spirituel marginal. Au bout du compte, on va jusqu'à lui interdire de prêcher des retraites, et on l'isole à Lille, où il va y retrouver les pauvres dans la contemplation et la souffrance silencieuse. Finalement, il semble qu'on voulait politiser le mouvement scout, et le cas de Jacques ne fut pas isolé, d'autres aumôniers furent pareillement évincés.
Le Père Sevin insistait beaucoup en effet sur la bonne formation des chefs : du côté de la méthode scoute (ils avaient intérêt à avoir lu les livres du fondateur), et du côté d'éducateur de la foi. Il enseignait un nouveau mode de prière pour l'époque à ses chefs : " ayez vos prières à vous, [loin des formules toutes faites non liturgiques et encombrantes], grâce auxquelles ils comprendront que [les deux vies de chrétiens et de scout] n'en font qu'une, et qu'ils ne sont scouts que pour vivre en chrétiens plus parfaits, d'un surnaturel plus intense. ". Il disait encore : " Vous devez vivre de la foi, […] cela doit jaillir de votre contact […]. Que votre foi ne vous rende pas sévère, austère, morose, maussade, mais plus gais que tout le monde, parce que plus fervents, plus rempli de la joie même de Dieu " . Il veilla même à former les aumôniers, conscient qu'il ne suffisait pas d'être prêtre pour être scout, et pour éviter que ces derniers prennent la place du chef à une époque où le laïcat n'existait pas encore.
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